mardi 27 septembre 2016

Oltréé!


Je l'avoue sans honte, en tant que Maître de jeu, le médiéval fantastique n'est pas vraiment ma tasse de thé. Il faut dire que je n'ai pas encore trouvé un jeu qui me satisfasse entièrement pour émuler ce genre particulier. Donjons et Dragons propose un courbe de niveaux beaucoup trop rapide à mon goût, RuneQuest est vraiment très meurtrier, les systèmes de Rêve de Dragon ou d'Agone sont complexes à mettre en oeuvre et l'Oeil Noir a un côté naïf qui m'exaspère, même si je lui reconnais d'indéniables qualités dès lors qu'on l'utilise pour des parties de découverte.

Bref, si DC Heroes est devenu mon jeu fétiche pour les histoires de Super-Héros, je cherche toujours le jeu qui remplira ce rôle pour le med-fan. Dans cette quête sans fin, j'en suis venu à m'intéresser à quelques rétroclones, sortes de cousins éloignés de Donjons et Dragons, qui bénéficient d'un lifting plus ou moins réussi. Oltréé! fait partie de cette catégorie de jeux, mais le lifting est tellement profond et réussi qu'on peut difficilement reconnaître les traces des grands anciens dans ce rejeton tout neuf et propre sur lui...

Dans Oltréé!, les joueurs incarnent des patrouilleurs, un ordre d'élite établi par un Empire aujourd'hui en déliquescence. On peut même dire qu'il s'agit d'un des derniers bastions de cet Empire qui est tombé face aux créatures maléfiques du Roi-Sorcier et aux hordes de cavaliers venus de l'ouest lointain. Aujourd'hui, le Roi-Sorcier est tombé (du moins est-ce la rumeur), et des communautés éparses survivent tant bien que mal dans les contrées en ruine de l'Empire, redevenues sauvages.

La mission des patrouilleurs est simple : explorer les territoires sauvages, retisser des liens entre les villes et villages isolés, retrouver des artefacts anciens, et repousser les ennemis de l'Empire. Au cours de leur périple, ils seront amenés à explorer des ruines anciennes, à combattre des créatures féroces, mais devront aussi affronter la disette et la maladie.


L'originalité d'Oltréé! repose sur de nombreux éléments. Je vais me contenter de vous présenter les plus marquants d'entre eux :

- Le monde d'Oltréé! est construit collaborativement : chaque fois qu'ils explorent un territoire, les joueurs sont amenés à piocher des cartes "Patrouille" qui leur permettent de décrire les obstacles, les découvertes et les rencontres qu'ils font. Bien sûr, le Maître de Jeu a déjà dessiné les contours de la carte et créé quelques communautés, PNJs, et ruines majeures, mais une grosse partie du territoire est un terrain qui se découvre au fur et à mesure du jeu. Mais ce n'est pas tout. En jouant d'autres cartes, les PJs peuvent aussi intervenir dans la narration pour y ajouter des éléments en leur faveur, et parfois, en leur défaveur.

- En effet, les joueurs disposent de cartes "Exaltation" qui peuvent leur servir de joker en cas de jet raté, mais qui peuvent également être jouées dans un contexte précis. Ils peuvent par exemple jouer une carte pour "connaître depuis longtemps" un PNJ qu'ils viennent juste de rencontrer : "Eh, mais c'est ce bon vieux Oldarick, voilà des années que je ne l'avais plus croisé!".  De plus, dans Oltréé!, les échecs critiques n'existent pas. Ils sont remplacés par des cartes de "Persécution". Ces cartes sont négatives et visent à compliquer la vie de personnages joueurs. Ce sont donc eux-mêmes qui décident quand ils vont rencontrer des difficultés supplémentaires. On pourrait croire que ce type de carte sera peu jouée, mais il n'en est rien : d'abord, parce que leur effet est indéniablement amusant, et ensuite parce qu'en récompense, les joueurs reçoivent de nouvelles cartes "Exaltation".

- Autre originalité, les patrouilleurs ne sont pas enfermés dans des classes de personnage rigides qui vont décider de leur carrière à jamais. Au contraire, tous les personnages ont accès à 16 métiers différents, ce qui leur permet d'être "multiclassés" dès le départ, en faisant de la magie, tout en ayant des compétences de voleur et de guerrier. Si on devrait rapprocher Oltréé! d'un jeu vidéo, il ferait indéniablement penser à Skyrim. 

A la lecture, Oltréé! est très enthousiasmant. Il y a plein de bonnes idées, et c'est une véritable boîte à outils qui est mise à la disposition du meneur de jeu. Cependant, j'avoue avoir eu quelques doutes quant à la mise en oeuvre de toutes les petites règles éparpillées ça et là dans le manuel, et aussi quant à ma capacité à improviser et à rebondir sur les idées des joueurs... J'avais donc prévu un "crash test" dimanche dernier afin de mettre tout ça en pratique.

A cette occasion, j'ai pu constater que ce jeu est un petit bijou de game design : oui, il y a plein de petites règles à appliquer et à retenir, mais l'écran du MJ, les feuilles de personnage et même les cartes sont pourvus d'aide-mémoires adéquats, ce qui permet de ne jamais être totalement perdu.

A chaque partie d'Oltréé, les joueurs sont invités à définir leur objectif. Pour cette première partie, le premier objectif des patrouilleurs a été de retrouver un fortin dans la région et de le sécuriser afin d'en faire leur base d'opération. Ils avaient une indication assez vague de la localisation du fortin, et ils se sont mis assez rapidement en route pour atteindre la région en question. Là, les patrouilleurs ont rencontré une caravane commerciale qui a pu les renseigner sur deux communautés locales, une cité humaine et une communauté naine. Après avoir escorté la caravane un moment, les patrouilleurs se sont remis à la recherche du fortin, mais n'ont dans un premier temps trouvé qu'un ancien tumulus nain habité par des ours sauvages mutants et menant à un réseau de cavernes peuplées par une tribu de kobbolds. Après quelques péripéties, ils ont fini par localiser et par prendre d'assaut le fortin, occupé par un groupe d'une quinzaine d'orques.

L'un dans l'autre, on peut dire que cet essai a été concluant. Il reste juste une inconnue : le jeu va-t-il rester intéressant une fois que les personnages auront atteint un haut niveau ?  Seul le temps pourra répondre à cette question, mais une chose est sûre : dès leur premier niveau, les patrouilleurs sont des ennemis redoutables, que les créatures des terres sauvages ont bien du mal à mettre en difficulté. Paradoxalement, le plus grand danger qui pèse sur eux, c'est la disette : lorsqu'ils parviennent au bout de leurs ressources, les personnages voient s'accumuler les malus, ce qui les fait passer du statut de héros imbattable à celui de simple mortel luttant pour sa survie...

Quoiqu'il en soit, les quatre joueurs qui ont testé Oltréé! avec moi ont immédiatement resigné pour une deuxième partie. Que demander de plus ?

mardi 13 septembre 2016

Retour aux sources




Il y a quelques mois, j'ai décidé de me remettre au jeu de rôle. Cela faisait longtemps : j'avais mis ce loisir de côté pour l'échanger contre des plaisirs plus immédiats, comme le jeu de plateau ou le jeu vidéo... 

On ne s'en rend pas compte au départ, mais chacun de nous met sa vie entre parenthèses au moment de faire des enfants. Les heures consacrées aux loisirs deviennent des moments partagés en famille, et même si notre intention première est de ne pas mettre de côté ce qui nous a apporté beaucoup de joie, il est malaisé de concilier parentalité et parties de jeu jusqu'à 2 heures du matin.

Cependant, l'adolescent a d'autres besoins : il souhaite avant tout qu'on le laisse en paix pendant qu'il dévore des romans de bit-lit par douzaine, regarde ses séries préférées sur Netflix, ou joue à League of Legends avec ses camarades. La fonction de parent se réduit alors à la logistique entourant ces diverses activités : pour autant que le wifi reste allumé, leur absence du domicile pendant quelques heures est à peine remarquée par la marmaille, trop heureuse de profiter de cette autonomie.

Mais l'autonomie de mes ados n'est évidemment pas le facteur principal qui me fait replonger dans la marmite originelle du jeu de rôle. Après presque 8 ans consacrés jeux vidéos, j'ai en effet l'impression d'avoir fait le tour de ce média qui se renouvelle assez peu, en dehors de la performance graphique de plus en plus photo-réaliste.

J'ai donc repris le chemin des livres de règles il y a quelques mois, à la recherche d'un système et d'idées pour relancer quelques parties de jeux. J'ai ainsi parcouru quelques jeux de ma ludothèque auxquels je n'avais pas encore accordé l'attention qu'ils méritaient : Sens, Shayo, Within, Oltréé et Sombre...

Mon idée, au départ, était de rassembler quelques anciens joueurs autour de notre table de salon. Cependant, le déménagement de la Guilde de l'Opale Noire dans un local situé à Farciennes m'a offert l'opportunité de reprendre contact avec les membres de ce club, pour lequel j'avais écrit, dans les années 2000, quelques scénarios pour leurs "24 heures de jeu de rôle".

C'est donc à la Guilde que j'ai maîtrisé "Sombre" pour la première fois le week-end dernier. Il s'agit d'un jeu dont les protagonistes principaux, interprétés par les joueurs, sont des personnages de films d'horreur, à savoir des victimes. Les règles sont calibrées en fonction de ce canon, et au fur et à mesure de l'avancement de la partie, les caractéristiques des joueurs diminuent drastiquement, les plongeant peu à peu dans la folie et la déchéance physique. Le jeu s'est avéré suffisamment fluide pour que tout le monde comprenne son fonctionnement d'emblée. Seul bémol : trois personnages sur quatre ont survécu au scénario, ce qui me paraît beaucoup (les jets de dés des joueurs ont été particulièrement chanceux).

Dans le même élan, j'ai ressorti mes figurines, et mes pots de peinture. J'ai en effet en réserve des centaines de figurines de marques diverses qui n'attendent que mon bon vouloir pour être montées et mises en valeur.

Pragmatique, j'ai commencé par terminer quelques modèles commencés il y a de longs mois et stockés ça et là dans mes armoires. Le but est de me refaire la main avant de me lancer dans des projets plus sérieux. Assez étonnamment, je n'ai pas trop perdu de ma dextérité, et ce sont plutôt mes yeux qui me posent problème : désormais, pour peindre comme pour lire, il faut que je chausse mes lunettes...

mercredi 10 août 2016

Itinéraire d'un roliste gâté




Il était une fois un petit garçon qui avait deux passions : les livres et son vélo de cross rouge rutilant, fabuleuse monture qui lui permettait de se déplacer seul jusqu'à la bibliothèque du coin, où il trouvait (à grand peine) de quoi étancher sa soif de fantasy et de science-fiction.

Un beau jour, alors qu'il rendait visite à un de ses fidèles amis, il découvrit son premier "livre dont VOUS êtes les héros". Intrigué, il dévora l'opus avec passion, et en acheta d'autres, beaucoup d'autres.

En ce temps là, la maman de notre petit garçon, en femme libre et divorcée, rencontrait un certain nombre de prétendants aux talents divers et variés. Il se fait que l'un d'eux, José, avait un fils, Philippe. Philippe était déjà sorti de l'enfance, mais faisait partie de ces jeunes adultes que la compagnie des enfants et des adolescents ne dérangeait pas. Lorsque la fête battait son plein sur la place du village, il n'était pas rare que Philippe dépensait des sommes considérables en jetons pour les auto-tamponneuses, qu'il partageait ensuite avec son frère adoptif et les amis de celui-ci. Philippe était marin, et partait en mer six mois par an, puis revenait sur la terre ferme de Belgicie les six mois restant pour dépenser sa solde. Quoiqu'il en soit, une jour que Philippe passait à la maison, il surprit le petit garçon en train de lire un livre dont vous êtes le héros, et lui dit : "tu sais, si tu aimes ça, tu devrais essayer Donjons et Dragons", et il lui expliqua dans les grandes lignes le principe du jeu de rôle... Sans le savoir, Philippe venait de planter les germes de ce qui allait bientôt devenir la troisième passion du petit garçon...

Bien sûr, cette graine ne grandit pas en un jour. Car, à cette époque reculée, trouver une boutique de jeux qui distribuait ce genre d'articles était une mission difficile, voire impossible pour un garçon de l'âge de notre héros. Celui-ci continua donc quelques temps à compulser frénétiquement ses livres des LDVEH, jusqu'au jour où, feuilletant le catalogue "Belgique Loisirs" de l'époque, il tomba nez à nez avec la boîte rouge de Donjons et Dragons. Oui, vous avez bien lu, l'entreprise responsable de l'accumulation de romans sur les étagères de nombreux gogos piégés par leur abonnement trimestriel fut également l'un des pionniers de la distribution de jeux de rôles en francophonie. Emballé par cette découverte, le garçon insista auprès de sa grand-mère pour qu'elle lui achète cette boîte magnifique, qui allait lui donner accès à un nouvel univers.

De retour chez lui, le jeune garçon dévora la boîte, et passa dès lors de nombreuses soirées à préparer des donjons. Le premier d'entre eux fut une tour carrée de quatre étages, remplies de créatures, avec des souterrains non moins infestés. Bien sûr, il invita ses amis à essayer cette aventure, et ceux-ci souffrirent, avec le sourire, les débuts - il faut bien l'admettre - assez pathétiques de notre héros sur la voie de la maîtrise. Deux autres jeux furent acquis chez Belgique Loisirs : Tunnels & Trolls et l'Appel de Cthulhu. Ce dernier donna lieu à une partie assez surréaliste impliquant une ford T tractant un canon de campagne dans les rues de Londres. J'aimerais pouvoir oser en révéler plus sur cette aventure, mais la honte, et aussi une certaine pudeur, me poussent à vous épargner tous les détails. Le jeu de rôle a cela de commun avec la sexualité : leurs débuts sont souvent hésitants et maladroits.

L'Appel de Cthulhu fit découvrir Lovecraft au jeune garçon, devenu depuis adolescent. Là encore, trouver des romans de cet auteur de romans fantastiques n'était pas chose aisée. Un beau jour, cependant, Didier, un des meilleurs amis de notre héros, déboulla chez lui avec un recueil de nouvelles du maître de l'épouvante. La lecture de ces petits chef d'oeuvre à la lueur de la lampe de chevet de sa chambre fit une forte impression sur notre jeune héros, qui imaginait sans mal les choses indicibles qui rodaient dans les ténèbres...

Quelques mois plus tard, alors qu'il accompagnait son père sur le marché de Charleroi, notre héros, passant dans une galerie, vit son regard attiré par une affiche pour le moins intriguante, qui proclamait : "Votre âme nous intéresse". Il s'agissait de l'affiche de Maléfices, le jeu de rôle qui sent le souffre. Notre héros se promis de repasser par la boutique arborant cette affiche dès que possible. Elle portait le nom improbable de "Parcmètre", et l'on y trouvait non seulement les nouveautés en français, mais aussi pas mal de productions anglaises et américaines. Peu de temps après, un magasin de jouets de la rue de la montagne commença également à vendre du jeu de rôle, mais seulement en français.

C'est dans ces deux boutiques que notre héros acquis un bon nombre de jeux de rôles, dépensant tout son argent de poche dans cette nouvelle passion. Les titres légendaires de ces oeuvres méritent d'être évoqués : L'Ultime Epreuve, Maléfices, Paranoïa, Légendes Celtiques, Rêve de Dragon, Faërie, l'Oeil Noir, Empire Galactique, Mega 2, Stormbringer, Hawkmoon, le Jeu de Rôle de la Terre du Milieu, etc.

Mais alors que notre héros se perdait dans la lecture de ces merveilles, il faisait face à un épineux problème : ses amis étaient loins de partager sa passion dévorante, et il lui était donc difficile de pratiquer assidûment l'objet de sa passion. Au moment où il commençait vraiment à désespérer de trouver des camarades de jeu, un jeune compère l'aborda dans la cours de récréation de son Athénée : "Hé, salut, Peck me dit que tu fais du jeu de rôle ? Ca te dit de venir jouer avec nous, on vient de lancer un club dans une maison de jeunes. Ca s'appelle le Gazo." Le dénommé "Peck" s'appelait en réalité Olivier, et avait surpris notre jeune héros en train de lire un livre de jeu de rôle pendant une heure supposément dédiée à l'étude. Il en avait averti Frédéric, dit "Fred", qui s'était chargé de contacter notre héros pour l'inviter à rejoindre leur bande de joyeux drilles.

C'est à peu près à la même époque que notre héros quitta la garde de sa mère pour rejoindre son père. Cette décision faisait suite à des difficultés inhérentes à la vie de famille recomposée, qui ont eu à l'époque une influence considérable sur le moral de notre héros. L'adolescent chargea dans la voiture de son paternel une douzaine de caisses remplies de livres et de jeux et une valise pleine de vêtements, ce qui en dit long sur ses priorités. Notre héros dit adieu à son vélo rouge, qui n'était déjà plus si rutillant. Ce fidèle destrier l'avait bien servi, et resta suspendu longtemps dans le garage de sa mère, comme un rappel constant d'un passé plus souriant.

Or donc, tous les samedis après-midi, le père de notre héros le conduisait au Gazo "maison de jeunes et de loisirs". En bon vivant qu'il était, le père avait également sa carte de membre : "pour moi, ce sera de loisirs" avait-il proclamé au moment de l'acquisition du précieux sézame qui lui permettait de prendre un verre au bar de l'association, témoignant au passage d'une singulière curiosité pour les loisirs de son fils. Ayant constaté que celui-ci ne sacrifiait aucune poule à Satan et se contentait de lorgner sur les fesses rebondies de l'unique fille du club (malheureusement déjà prise), le père rejoignait ses propres amis pour une partie de belote, ou sa maîtresse pour des activités que je vous laisse imaginer.

Le Gazo fut le rendez-vous hebdomadaire de l'adolescent pendant deux bonnes années, jusqu'à ce qu'il commence ses études de droit. Il y joua à Star Wars, AD&D, l'Appel de Cthulhu, JRTM, James Bond 007, Paranoïa, mais aussi à Stormbringer, Hawkmoon, RuneQuest, In Nomine Satanis Magna Veritas et, last but not least, Hurlements. Un soir, l'ensemble des membres du Club organisèrent même une murder party pour plus de 30 participants.

Cette période bénie prit fin lorsque notre héros commença ses études : ayant rencontré d'autres joueurs à l'Université, il diminua ses visites au Gazo. Peu après, il appris que l'activité jeu de rôle de cette maison de jeunes avait pris fin, pour être remplacée par une entreprise - plus lucrative - de modeling... Passer de Donjons et Dragons à la Haute Couture, ça laisse assez songeur.

Impossible cependant de clôre ce chapitre de l'histoire sans raconter comment notre héros rencontra, pour la première fois celle qui allait devenir son épouse : au cours de sa deuxième année d'Université, alors qu'il était revenu au Gazo pour saluer ses amis, notre héros rencontra une élève du lycée voisin qui traînait ses baskets à la maison de jeunes. Voyant notre héros dans ses plus beaux atours, elle succomba à son charme et résolu de le retrouver lors de son bal de promotion, auquel elle avait appris qu'il se rendrait. Ce qui se passa exactement lors de ce fameux bal restera un mystère pour vous lecteur, mais sachez que la damoiselle n'eut aucun mal à prendre le héros dans ses filets. Il s'avéra qu'elle partageait avec notre héros une passion pour la fantasy et la science-fiction. De là à devenir une roliste elle-même, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi.

Mais j'anticipe un peu : revenons au moment où notre héros rejoint l'Université de Liège, où il s'incrit en faculté de droit en 1989, avec pour ambition de bifurquer vers la criminologie au bout de deux années. La première année d'étude lui laisse assez peu de place pour le jeu : il ne s'agit pas de décevoir les attentes paternelles, d'autant que celui-ci ne roule pas sur l'or. D'ailleurs, afin de financer les études de son fils, le père écume régulièrement les brocantes, achète, revend, et en général fait de bonnes affaires pour arrondir ses fins de mois et payer ses factures. Comme son fils l'accompagne régulièrement pour l'aider à porter les caisses, déballer, voire vider une maison entière, ses parties du week-end en pâtissent quelque peu. Il retrouve néanmoins tous les vendredi soir son ami "Peck" pour des parties endiablées de jeux de plateaux, avec en tête HéroQuest et Car Wars. Au Home du Sart Tilmant, où il dispose d'un "kot", nom donné par chez nous aux chambres des étudiants, il rencontre au fil du temps quelques autres joueurs, parmi lesquels figure l'un des fils de la concierge, que tous les étudiants appellent affectueusement "tantine".

Ainsi, au moment où débute sa deuxième année universitaire, tous les éléments sont réunis pour assembler un groupe de joueurs réguliers. Notre héros, qui a gagné de l'assurance et n'a plus peur d'échouer, établit un planning assez strict de sa semaine : chaque jour, il va au cours et étudie à la bibliothèque. Le soir, il prend un repas léger, puis rejoint ses amis dans le local de repos du personnel d'entretien, auquel ils ont accès grâce à un passe détenu par le fils du concierge. Et ils jouent jusqu'à minuit environ, aussi souvent qu'ils le peuvent, parfois les cinq soirs de la semaine, chaque joueur prenant tour à tour le rôle du maître de jeu pour maîtriser In Nomine Satanis, Vampire La Mascarade, Mega III, Donjons et Dragons, et même Légendes Celtiques. Une véritable boulimie de jeu de rôle, auquel notre héros met fin uniquement au moment du "blocus" précédant les examens, ses études gardant la priorité sur ce qui est devenu son loisir numéro un.

La troisième année d'étude voit un ralentissement du jeu au profit des... hormones. La petite amie de notre héros l'a rejoint à l'université, et même si elle a sa propre chambre en ville, elle passe 80% de son temps chez l'élu de son coeur. Etant jeunes et vigoureux, une partie assez substantielle de leurs loisirs consiste à explorer les capacités insoupçonnées de leurs corps respectifs à donner et à prendre du plaisir. Entre les coups, notre héros continue bien entendu à jouer avec son groupe, mais beaucoup moins fréquemment. Sa dulcinée intègre sans difficulté le petit groupe de compères. A la fin de cette troisième année, un événement vient boulverser la petite insouciante de nos jeunes étudiants : la direction des Homes du Sart Tilmant a décidé de donner la priorité au logement des étudiants des deux premières années. Notre héros va donc devoir déménager vers un nouveau lieu de villégiature, dès le mois de septembre...

Il emménagera donc avec sa moitié dans des kots situés à Kinkempois, à mi chemin entre les facultés qu'ils fréquentent respectivement, lui au Sart-Tilmant, et elle, au centre ville de Liège. Ce déplacement crée une rupture avec une partie de leur groupe de joueurs, sans que cela ne semble perturber notre héros : il n'a jamais eu de difficulté à se faire des amis. Pendant les deux ans qui vont suivre, ils vont jouer essentiellement à Nephilim, à Donjons et Dragons, mais aussi et surtout à DC Heroes RPG, avec notamment une campagne de plus de cent scénarios jouée par une quinzaine de joueurs différents : les "Super Héros Européens" évoluaient dans un univers créé de toute pièce par notre héros, inspiré par les nombreux comics qu'il lisait à l'époque en version originale...

Après cinq ans de droit et une année de droit européen - notre héros n'a finalement pas bifurqué vers la criminologie pour des raisons trop longues à expliquer ici - il fut temps de s'intéresser au monde du travail. Sa petite amie n'ayant quant à elle pas encore terminé ses études de philosophie, ils furent séparé pendant une longue année.

La première année d'expérience professionnelle ne laissa pas beaucoup de loisirs à notre héros, mais il garda un contact particulier avec le jeu de rôle via le Club des Défis. Le club était formé par quelques amis qui étaient dans la même position, et qui avaient donc un agenda de plus en plus chargé. Une fois par mois, un Maître de Jeu maîtrisait un scénario avec un nouveau jeu de rôle acheté pour l'occasion. A la fin de la séance, les participants commentaient le jeu et la performance. Ensuite, le maître de jeu offrait un jeu de rôle au "défié" suivant, qui devait maîtriser son cadeau en trente jours. Ce format permit au groupe d'amis d'explorer pas mal de jeux originaux : Castle Falkenstein, Shatterzone, Mutant Chronicles, Skyrealms of Jorune, etc. Quelques-uns de ces jeux donnèrent lieu par la suite à des campagnes mémorables...

Une fois que sa petite amie eut fini sa dernière année d'étude et que lui-même eut trouvé un travail suffisamment stable, ils purent enfin emménager ensemble. Un caprice du destin voulu que le père du héros mourut à la même période, et c'est dans la maison familiale qu'ils élurent domicile. Quelques mois plus tard, notre héros convia ses amis à jouer à son domicile, et fit de celui-ci un lieu de rendez-vous, où l'on se retrouvait pour jouer au jeu de rôle, mais aussi à divers jeux de plateau. Le jeudi soir était consacré au jeu de plateau. Le samedi était principalement consacré au jeu de rôle. Entre 1997 et 1999, exactement 169 parties de jeu de rôle furent animées au sein du Club par 8 maîtres de jeux différents, avec plus de 35 jeux différents, les plus populaires étant l'Appel de Cthulhu, Mutant Chronicles, James Bond 007, Gurps, Space 1889 et Guildes.

En l'an 2000, un événement terrible vint remettre en cause cette débauche d'activité roliste : la petite amie du héros, qui était entretemps devenue sa femme, accoucha d'une adorable petite fille, qu'ils prénomèrent Morgane. Morgane est un petit bébé très sage : à six mois, elle peut passer des heures sur son tapis d'activité, sans déranger ses parents. Alors qu'elle a six mois à peine, notre couple se dit qu'étant donné le caractère très doux de leur petite fille, ils peuvent se permettre de mettre leur deuxième enfant en route, histoire que la différence d'âge ne soit pas trop grande. Ainsi, au début de l'année 2002, un petit garçon nommé Salomon débarqua à son tour dans la famille. Enfin, Mélusine, "la petite dernière", arriva quelques années plus tard, en 2007.

L'impact de l'agrandissement de la famille sur le jeu est indéniable : le jeu de plateau, qui demande moins de préparation, supplante en grande partie le jeu de rôle. Les parties sont de plus en plus espacées : il est devenu impensable de se réunir pour jouer le samedi après-midi, et en soirée, les parents sont souvent trop fatigués que pour contribuer efficacement à une table. Cependant, jusqu'en 2004, notre héros va garder un contact avec cette passion via sa participation au Guide du Roliste Galactique et à toute une série d'événements organisés en Belgique, notamment le Brussels Games World et les 24 heures de la Guilde de l'Opale Noire. En ligne, il utilise le pseudonyme de "Sherinford", qu'il tire d'un personnage du supplément Cthulhu by Gaslight.

Pour le GROG, qu'il rejoint assez rapidement,Sherinford rédige quelques dizaines de fiches de jeux en sa possession, et va même jusqu'à acheter des jeux bizarres et confidentiels sur Ebay pour en écrire la fiche. C'est ainsi que sa collection s'agrandit et comprend de plus en plus de jeux auxquels il ne compte pas jouer. Il découvre cependant également quelques pépites pendant cette période, des titres comme Unknown Armies, Blue Planet et Transhuman Space rejoignent sa collection.

Sa participation dans les événements organisés en Belgique prend deux formes : des stands de démonstration de jeux de rôle dans les événements, et l'écriture de scénarios pour les "24 heures" de jeu de rôle. L'idée d'écrire pour cet événement lui vient après sa première participation : les organisateurs ne lui ont donné qu'un maigre synopsis de 12 pages pour maîtriser 24 heures, ce qu'il trouve largement insuffisant. Afin de réaliser des scénarios de qualité, Sherinford rassemble quelques amis et organise des ateliers d'écriture au cours desquels les idées fusent, puis sont modelées peu à peu en un tout cohérent. Une demi-douzaine de scénarios sont ainsi rédigés entre 2000 et 2004, pour l'Appel de Cthulhu, COPS, et Vampire.

En 2004, Sherinford fait une découverte qui va véritablement révolutionner sa vie. A l'époque, tous les jeudis soir, son épouse passe sa soirée à l'académie pour un cours de dessin, laissant à son époux la charge de coucher les enfants. Son ami Peck, dernier fidèle des soirées jeux du jeudi soir, vient tenir compagnie à son ami. Tous deux sont férus de stratégie et de tactique.

Par une incroyable synchronicité, c'est exactement à ce moment là qu'Asmodée publie Dungeon Twister. Les deux amis exultent véritablement : ce jeu rassemble les qualités tactiques des échecs, en plus varié, et avec un enrobage Fantasy du meilleur effet. Si au départ, ils se contentent de disputer des parties amicales entre eux, ils vont progressivement rejoindre la communauté des joueurs, et disputer des tournois à Enghien, Bruxelles, puis Paris, Lille, Essen, Cologne, Bonn, Lyon, Bordeaux et Nice... Le jeu les fait voyager. De 2004 à 2010, Dungeon Twister va quasi complètement éclipser tous les autres jeux, Sherinford perfectionnant son art de tournoi en tournoi, jusqu'à remporter le championnat "du monde" de Lille en 2009, ce qui lui permet de repartir chez lui avec une XBox 360 rutillante...

L'été de l'année 2010, Sherinford va cependant subir un revers de fortune qui, s'il n'est pas totalement inattendu, secoue durement notre héros : alors qu'il se repose un après-midi sur son divan, une terrible douleur à la poitrine et aux avant-bras l'entraîne à l'hôpital, où on lui annonce sans ménagement que ses artères coronaires souffrent sévèrement de son hygiène de vie déplorable : il est en train de faire un infarctus...

Un stent est posé sur l'artère la plus encombrée et un régime strict est imposé à notre héros. Celui-ci va au-delà des recommandations de son médecin, et s'interdit de manger quoique ce soit qui contient du "mauvais cholestérol" pendant les six mois qui suivent cet "épisode". Le régime est combiné à des séances de revalidation trois fois par semaine : au programme, vélo, tapis, rameur, élipteur et divers programmes de renforcement musculaire. Six mois plus tard, notre héros a perdu suffisamment de poids et de tour de taille que pour devoir changer tous les pantalons de sa garde robe. Son épouse, marquée par l'événement, revoit de fond en comble sa façon de cuisiner.

Une fois que Sherinford reprend le travail, il doit continuer à faire de l'exercice, et par conséquent diminuer la proportion de ses loisirs accordée aux jeux. Comme l'événement coïncide avec un ralentissement des tournois de Dungeon Twister, cela tombe plutôt bien. De retour sur divers forums de jeux de rôle, notre héros réalise qu'il a toujours envie de jouer. Il maîtrise alors de courtes campagnes avec Mutant City Blues et Smallville. Ses enfants ayant grandi, il leur fait découvrir les joies du jeu de rôle, et ressort pour l'occasion les règles de DC Heroes, qui n'ont rien perdu de leur efficacité. Dernièrement, il a même "initié" quelques collègues habitant la même région que lui en leur faisant jouer quelques parties de James Bond 007 et de Metal Adventures...